07 Août

Rösti Challenge: une habile opération de communication?

Appelé à donner mon avis sur le concours du 1er Août 2017 de l’UDC, appelé Rösti Challenge, je me suis dit que j’allais en profiter pour faire un petit article sur mon site depuis trop longtemps délaissé.

Le Rösti Challenge, c’est cela :

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Le président du parti populiste suisse, Albert Rösti (un joli aptonyme), se propose donc de relever le défi qui a reçu le plus de votes, histoire de célébrer la Suisse à l’occasion (ou peu après plus exactement la fête nationale du 1er Août). A priori, un type un peu versé en rhétorique comme moi n’a pas grand chose à dire sur le sujet. Mais, en se grattant un peu la soupière, on peut relever quand même trois points.

  1. L’anglicisme « challenge », la vidéo postée sur YouTube et la demande de voter sur une page Facebook sont des clairs renvois à une forme d’intertexte: la liste infinie des challenges sur Internet, dont le fameux Ice Bucket Challenge, qui fait diversement rire, surtout lorsque certains d’entre eux sont susceptibles d’être mortels. Ce qui ne sera pas le cas d’un éventuel planter de drapeau sur le Brienzer Rothorn, bien entendu. Ces défis me semblent avoir moins le vent en poupe, surtout lorsqu’ils sont accompagnés d’un « bad buzz », comme le « blue whale challenge » qui pousserait au suicide. Mais le Rösti Challenge est bien plus innocent et, surtout, ne concerne qu’Albert Rösti. La connotation quelque peu négative du « challenge » s’atténue alors que celle d’une communication jeune et décomplexée – eu égard aux canaux de communication utilisés – reste marquée. Les partis politiques sont de plus en plus malmenés par des formations nouvelles (cf. Italie et France); ils trimbalent une image négative et passéiste. La volonté de l’UDC, qui a subi une série de revers dernièrement, pourrait être de rajeunir l’image du parti, d’augmenter l’effet de club entre amis via Facebook, de rendre moins austère la vision que l’on peut avoir d’un parti et de rapprocher le parti de la base.

    le Rösti Challenge est un peu plus significatif que l'Ice Bucket Challenge...

    Le Rösti Challenge est un peu plus porteur de sens que l’Ice Bucket Challenge…

  2. Drapeau suisse, cor des alpes, montagnes, saucisses à rôtir, Berne, place fédérale, visite du palais fédéral et 1er août: il ne manque que le chocolat et les montres à la liste. Conformément à un parti nationaliste, l’UDC active des éléments symboliques extrêmement nets de l’identité helvétique, avec une tendance à souligner le folklore (saucisse, cor). Pas étonnant donc que les luxueuses montres soient absentes dans cette liste célébrant une dimension populaire. Il est aussi frappant de constater que Rösti souhaite une « excellente patriotique Fête nationale ». Comme si Fête nationale ne suffisait pas. L’ajout de l’adjectif laisse entendre que la Fête nationale n’implique pas forcément le patriotisme et renvoie donc à la célébration de sentiments forts et des traditions ancestrales par l’évocation des symboles forts de la nation. Le côté « international » du « challenge » sur « YouTube » est effacé au profit d’un contenu célébrant la nation helvétique, au centre de ses lieux de pouvoir.

    Switzerland. get natural. Folklore Festival at the Maennlichen in the Bernese Oberland. Alphorn blowers and flag swingers in front of Mt. Jungfrau. Schweiz. ganz natuerlich. Trachtenfest auf dem Maennlichen im Berner Oberland. Alphornblaeser und Fahnenschwinger mit der Jungfrau im Hintergrund. Suisse. tout naturellement. Fete folklorique sur le Maennlichen dans l'Oberland bernois. La Jungfrau est un decor somptueux pour jouer du cor des Alpes et lancer des drapeaux. Copyright by: Switzerland Tourism By-Line: swiss-image.ch / Christof Sonderegger

    Cor des Alpes et drapeau: le recours aux symboles évidents.

  3. Imagine-t-on Marine Le Pen acceptant de jouer de l’accordéon sous la Tour Eiffel à la suite d’un challenge sur Internet? En Suisse, c’est possible, sans doute avec l’idée du parlement de milice, le côté non-professionnel du personnel politique qui supprime une forme de distance entre le pouvoir et le peuple. Il n’en reste pas moins que l’exercice du pouvoir politique, que ce soit en Suisse ou en France, est en principe unidirectionnel : les personnes au pouvoir décident et le peuple suit. Mais le « Rösti Challenge » propose un renversement carnavalesque: le peuple décide et le politicien suit. Rösti accepte donc de se « ridiculiser » (quoique ce soit très relatif dans le cas présent) en obéissant au choix du peuple qui vote. C’est symboliquement assez fort. Mais l’habileté vient de la cohérence idéologique: le défi bon enfant fait résonner l’idée-phare de tout parti populiste: le peuple est souverain, le peuple décide et non le personnel politique au pouvoir.

Que l’on apprécie ou non l’UDC, que ce défi soit perçu comme ridicule ou drôle, le « Rösti Challenge » présente non seulement une forme de cohérence très forte avec la ligne et l’image du parti, mais veut aussi rendre plus séduisant un président de parti encore méconnu et au profil moins marqué que son prédécesseur. A priori, il a peu de chances de séduire à l’extérieur du parti, mais si on le considère comme une forme de communication interne, il peut resserrer les liens au sein du parti en insufflant de l’émotion et de la personnalité.

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09 Mar

Schneider Ammann: le carton d’un ratage rhétorique

Rarement – la dernière fois devait remonter au sapin de Kandersteg par Adolf Ogi – rarement donc une allocution nationale avait fait autant parler d’elle. Après avoir fait rire la Suisse romande, l’espace francophone se gausse du discours du président de la Confédération à l’occasion de la Journée des malades.  Avant d’aller plus loin, la voici:

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Invité un peu dans l’urgence à donner mon avis sur cette vidéo par la RTS, j’ai donné quelques pistes, mais sans parvenir à synthétiser ma réflexion.

Voilà ce que j’aurais dû dire avec un peu plus de recul. Le rire et le buzz qui s’ensuit me semblent dus à quatre décalages au moins:

  • Le premier entre les moyens utilisés (allocution nationale à la télévision) et l’indigence du message (il n’est pas contre-indiqué de rire avec les malades)
  • Le deuxième entre l’émotion dite (rire, anecdotes personnelles légères, mais douleur des malades) et l’absence d’émotion montrée par Schneider-Ammann. Comment veux-tu faire pleurer le juge si tes yeux sont secs, se demandait Quintilien affirmant que montrer l’émotion était plus efficace que la dire… On peu appeler cela l’effet Droopy (ou Buster Keaton) involontaire.
  • Le troisième entre la représentation que l’on peut avoir du professionnalisme supposé du Président et de son équipe de com’ vs. l’image d’amateurisme de la vidéo (arrière-plan perturbateur – le gars qui lave la terrasse, le bruit du jet d’eau)
  • Le dernier entre le ton personnel, le message de bon sens et tout en empathie et bonhomie et l’intellectualisation (« même les scientifiques le confirment », « une étude de l’université de Zurich » etc.), le costard-cravate, l’attitude figée à l’exception de quelques sourcils qui se lèvent parfois

A cela s’ajoute évidemment le décalage inhérent à un Suisse allemand lisant du français sans en maîtriser les nuances et sans avoir testé un tel texte face à un francophone. Par exemple, l’inflexion qu’il faudrait avoir pour mentionner « aucune formation n’est nécessaire », argument hyperbolique pour dire que n’importe qui peut rire et faire rire, est livré comme une information sérieuse. Pour les connaisseurs de linguistique, la négation descriptive devient, par l’intonation, et peut-être aussi à cause du manque de reprise anaphorique du type « aucune formation n’est nécessaire pour cela« ), une négation polémique, niant un point de vue affirmant la nécessité d’une formation.

Analyse

Cet ovni discursif est aussi incroyablement mal structuré. Allez, je reprends le début du texte, phrase par phrase.

« Rire, c’est bon pour la santé, selon un dicton populaire. » Ok, une accroche qui en vaut une autre, qui donne un ton plein de bon sens et assez léger. Ce n’est pas du Bergson, bien entendu, mais d’accord, le qualificatif « populaire » (au lieu de dire « selon le dicton ») montre peut-être la volonté d’un message non prétentieux, convivial.

« Comme moi, vous en avez certainement déjà fait l’expérience. » On fait entrer les pronoms personnels dans la danse, convoquant de fait l’image de soi et les émotions de l’auditoire. Et on crée un effet d’attente avec l’étiquette « expérience », qui permet de se préparer à une jolie anecdote. Le ton léger du papy au coin du feu se confirme.

« Reste encore à savoir pourquoi on rit. » Whaaat? Pourquoi « reste encore » alors qu’on n’a pas encore commencé ? Et pourquoi surtout avoir besoin de comprendre pourquoi on rit ? Il faut rire ou analyser le rire ? Enfin, au lieu d’avoir une anecdote, on a le droit à un point de vue méta sur le rire en totale digression avec le ton donné jusqu’ici.

« Un rire cynique, qui vise à tourner une personne en dérision, ce n’est pas un bon rire, à mon avis. » Aïe. D’accord, c’est son avis et il a l’honnêteté de l’avancer comme tel. Mais classer le rire en catégories bonnes et mauvaises, c’est se donner une posture moraliste d’un autre âge. L’argument inséré dans une relative définit le rire cynique comme uniquement ad personam, ce qui paraît un peu naïf , fige la discussion par cette relative dite essentielle. Pourquoi donc prendre le risque de s’exposer ainsi et de casser le ton de proximité du début du discours ?

« En revanche, rire de bon cœur avec quelqu’un, c’est partager des moments de bonheur. » Une redéfinition de « rire de bon coeur », qui ne casse pas trois pattes à un canard, à la limite de la lapalissade. Et l’opposition par « en revanche » semble exclure l’idée que le rire cynique puisse être de bon cœur ou un moment de bonheur fondé sur le partage. Pourtant, à juger le nombre de partages de la vidéo de Schneider-Ammann ou du portrait qu’en fait le Grand journal, le rire cynique doit bien avoir quelque avantage…

« Même les scientifiques le confirment. » Pardon? Utiliser un argument d’autorité suprême, souligné par « même », pour appuyer par la science le fait que rire de bon coeur, c’est partager du bonheur? Si une telle étude existe, elle est digne de l’ig-Nobel 2016. On comprendra plus tard qu’il fait allusion à l’effet du rire sur la santé; du moins, j’imagine. Mais renforcer une lapalissade par un argument d’autorité est une dépense d’énergie quelque peu inutile. Cela dit, on attend une élaboration de la dernière phrase : que disent les scientifiques?

« Vous allez peut-être vous demander pourquoi le président de la Confédération parle du rire en cette Journée des malades – comme si une personne gravement malade avait envie de rire. » Bam, une nouvelle fois, l’attente créée est rompue : les preuves scientifiques annoncées sont oubliées. On attaque ici le noeud du discours: pourquoi parler? Notons la reprise du pronom « vous » et l’usage de l’interpellation, qui rompt une nouvelle fois avec le paragraphe précédent. Notons aussi qu’au lieu d’évoquer un paradoxe à un niveau général  (par ex. « est-il décent d’envisager le rire et d’en parler devant des douleurs insondables? »), Schneider Ammann mobilise un indéfini dans une phrase incidente. Il y a là un manque d’efficacité patent. On a l’impression que la phrase incidente n’est pas la réponse à la question envisagée (« vous allez vous demander ») ou, en tout cas, qu’elle n’est pas complète. Or, aucune autre réponse ne sera donnée.

« Pourtant, l’effet thérapeutique de l’humour est désormais largement reconnu. » Le connecteur « pourtant » nie une conclusion préalable qui serait « le rire n’a rien à faire avec la santé », mais cette conclusion, réponse allusive à l’interrogation posée avec la phrase précédente, est implicite. En tant que telle, elle suscite donc un effort cognitif pour que les liens de raisonnement soient clairs. A nouveau, on peut déplorer un manque d’efficacité important. D’autant que, sur le plan sémantique, la large reconnaissance fait sans doute allusion aux études scientifiques, mais deux phrases plus haut. Sauf que…

« Je songe notamment aux clowns de la fondation Theodora qui, depuis plus de 20 ans, rendent visite à des enfants hospitalisés. » Troisième problème de transition : comment peut-on passer de « largement reconnu » à « je songe aux clowns » ? « Largement reconnu » créait un climat de pertinence qui devait mobiliser un « ils » plutôt qu’un « je », autrement dit « les scientifiques » ou « les études » dans la suite immédiate. Cette attente contraste par le choc sémantique entre « scientifiques » et « clowns ». En outre, cela conduit à devoir faire un effort cognitif encore plus important que le précédent, dans la mesure où « largement reconnu » semble ici justifié par … un exemple. On doit donc anticiper au moins un deuxième exemple, tout en se demandant qui pourrait être l’agent de la reconnaissance si ce ne sont pas des études scientifiques.

« Et cela marche : comme par magie, les visages des petits malades s’illuminent d’un sourire. » ici, le pathos va dominer, par la grâce d’une comparaison (« comme par magie ») et d’une métaphore usée (« s’illuminer »). On est assez loin d’une reconnaissance générale, mais l’exemple particulier qui se généralise est une astuce rhétorique intéressante. La sémantique de l’enfance est renforcée par le monde de la magie, le scientifique fait donc place à l’extraordinaire de la magie dans un mélange de registres décidément étrange. L’usage de l’épithète « petits » (au lieu de dire « les visages des enfants malades » par exemple) n’est pas que descriptif, mais fait vibrer l’affect connoté par le petitesse et la fragilité. S’il n’y avait pas l’attitude figée du président, une pause indue entre le verbe et le complément et une erreur de langue (« une sourire », dit-il), l’effet aurait été assez fort et relativement touchant. Encore que cadrer cet exemple  de manière très fonctionnelle (« cela marche ») nuit un peu à l’atmosphère magique…

Je cesse là mon analyse rapide, mais ne cesse de m’étonner de maladresses à plusieurs niveaux (textuel, rhétorique, communicationnel). Même si on peut se demander comment un tel ovni médiatico-politique a pu passer tous les filtres, le fait que tout ne soit pas calibré et calculé dans la communication politique suisse, la fraîcheur un peu naïve de ce genre d’exemple n’est en revanche pas pour me déplaire par rapport au conformisme de bon aloi et aux calculs raisonnées de marketing politique que l’on trouve ailleurs…

11 Jan

Excuse mon hortograf…

La télévision suisse romande a récemment fait un reportage sur le niveau de l’orthographe, pour lequel j’ai été interrogé et une partie de mon cours filmée (la seule séance du semestre consacrée à cet aspect) – voir ici. De par la réaction de quelques proches, ceux qui sont à l’aise avec l’orthographe comme ceux qui craignent de faire des fautes quand ils m’écrivent, j’ai pensé utile d’éclaircir un peu ma position sur ce sujet complexe, dont, par ailleurs, je ne suis pas un spécialiste. Il se trouve que, depuis que je donne des cours d’écriture universitaire, c’est le seul aspect sur lequel je me fais régulièrement interroger – et c’est assez significatif.

Oui, ça baisse

Dire que le niveau d’orthographe a baissé depuis une vingtaine d’années n’est plus une antienne de vieux nostalgique qui ressasse son bon vieux temps. C’est une réalité scientifique établie par Danièle Manesse et Danièle Cogis (« Orthographe, à qui la faute ? » en 2007). Les causes sont multiples et il faut bien mesurer que le niveau en informatique, pour ne prendre qu’un exemple, n’a probablement cessé d’augmenter, lui, pendant le même laps de temps ; ne généralisons pas sur la nullité de la jeunesse, de grâce. Compétences plus diversifiées, loisirs moins orientés sur la lecture, mais aussi, d’après ce que j’en sais et d’après mon expérience de père, une focalisation moins forte sur la dictée et sur la rédaction dans les cours de français font probablement partie des causes, au premier rang desquelles figure tout bêtement une diminution très nette des heures d’enseignement consacrées au français depuis plus d’un siècle.

D’une certaine manière, je trouve assez heureux que l’on relâche une bride tenue excessivement serrée – doit-on vraiment avoir une orthographe impeccable quand on rédige sur un Post-it une liste de tâches ?  L’exigence orthographique ne peut plus être absolue, quand bien même elle a été un repère pendant des années. Il faut désormais assumer les conséquences des heures d’enseignement de français perdues (l’équivalent de 3 ans d’enseignement entre 1900 et 1990 pour l’école obligatoire si ma mémoire d’une info que je ne retrouve plus est bonne). Certes, je déteste commettre des fautes, même dans mes SMS, car je considère que je me montre ainsi irrespectueux de ma langue et de son histoire, mais je déplore dans le même temps qu’on en fasse toujours une valeur-étalon. Il existe par exemple des concours en France exigeant la rédaction d’une note de synthèse pour s’inscrire dans un institut universitaire en droit, et pour laquelle dix fautes d’orthographe, y compris l’absence de points sur les i, dans une épreuve par ailleurs très dense, conduisent à l’échec. Et l’on précise que plus de la moitié des copies échouent pour ce motif. J’y vois une réminiscence de l’orthographe-étalon, où un critère, pas forcément le plus important pour le métier visé, a un poids disproportionné. A l’heure où les correcteurs d’orthographe se multiplient et sont de plus en plus performants, alors que l’on a tous vécu le fait de relire plusieurs fois un texte et de ne pas avoir « vu » une faute pourtant énorme, alors qu’il est assez souvent possible de faire relire des textes, des personnes souffrant de dysorthographie, même brillantes et passionnées par le droit, ne parviendront pas à accéder à une telle formation. Et ne parlons pas des récents immigrés en terre francophone, qui se débattent comme ils peuvent, mais accusent une bonne dizaine d’années de retard dans l’apprentissage de la langue. Il est évident que la déficience orthographique sera rédhibitoire pour certains postes et il y a intérêt à ce qu’elle le soit pour que le niveau ne s’effondre pas plus, mais faut-il pour autant écarter des aspirants policiers prometteurs sur la base de ce seul paramètre ? Sanctionner les fautes d’orthographe – certes, il voir les seuils qui ont été fixés – est sensé, mais au nom de quoi leur donne-t-on un poids différent par rapport à d’autres erreurs ? Il m’est arrivé de voir des textes parfaitement bien orthographiés, mais mal argumentés, mal structurés et à la limite du compréhensible. Eh bien, je préfère l’inverse…

 Orthographe et émotion

Le problème de l’orthographe, c’est que c’est aussi une question passionnelle. Malheur aux vaincus. La maîtrise du français est souvent un « argument » pour démolir celui qui a eu le malheur de commettre des erreurs de français dans son message sur tel ou tel forum Internet. On se gausse de celles et ceux qui commettent des fautes ; on cherche à leur faire honte ; on met au pilori les textes publics qui en contiennent. L’excès dans les imprécations est fréquent : non loin d’« orthographe », on trouve « truffé de » ou « bourré de » sinon l’idée d’un « massacre » à arrêter. Les insultes ne manquent pas (le « putain » de Bescherelle ta mère, par exemple), le mépris s’affiche assez ouvertement: c’est alors que la dimension morale de la faute prend tout son sens par rapport à l’erreur vénielle et pardonnable. On peut faire une erreur de calcul, mais on fait une faute d’orthographe. N’en doutons pas, cette stigmatisation fonctionne : il n’est pas rare de voir des personnes ayant une piètre orthographe exprimant de la honte ou de la gêne, se plaignant d’être pris pour des nuls. Certains pourront se dire que cela aide à faire plus attention ou à apprendre. Mais est-ce la bonne méthode ? A-t-on envie de se lancer dans un terrain que l’on sait miné (« les pièges de la langue ») ? Et dans un terrain que l’on sait non maîtrisable dans l’absolu – qui ne commet aucune faute dans les dictées de Pivot ?

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L’orthographe n’est pas qu’une norme de la langue, c’est une norme sociale. Or, cette dernière norme évolue assez peu : si cela reste une valeur-étalon, si on ne cesse d’attester qu’une lettre de motivation ou un curriculum vitae en contenant est un critère de classement vertical pour l’entretien d’embauche, on creuse le gouffre entre l’exigence sociale et la perte des heures de français consacrées à l’orthographe. Dès lors, on a tout intérêt à savoir maîtriser la langue quand c’est nécessaire et aller au-delà de ce que l’école peut actuellement fournir.

On peut même dire – et je m’excuse de toujours tout ramener à cela – que l’orthographe, c’est aussi de la rhétorique. Une piètre orthographe est souvent prise comme indice pour construire une image de quelqu’un. Pas étonnant qu’on recommande partout de faire attention au français quand on écrit un CV ou une lettre de motivation (ici, par exemple). Mais cette unanimité se lézarde. Il est frappant de constater par exemple la coexistence d’un double discours: celui de l’exigence absolue et celui de la relativité des fautes. Plusieurs collègues, dans des disciplines enseignées en français, affirment ainsi ne pas tenir compte de l’orthographe tant qu’elle ne nuit pas à la compréhension du propos. Mais, d’autres renvoient les « torchons » aux auteurs et exigent une orthographe impeccable avant de corriger. Deux poids, deux mesures pour un même étudiant déboussolé. La co-existence de telles attitudes devant la faute illustre sans doute un changement de mentalité sur la question de l’orthographe – la norme sociale n’est plus absolue -, mais il serait risqué, à mon sens, que n’importe quel scripteur se fonde sur la norme la moins contraignante lorsqu’il connaît mal les destinataires de son écrit. J’entends trop souvent des étudiants affirmer qu’ils font certes des fautes, mais que ce qui compte, au final, c’est ce qu’ils racontent. Ce faisant, ils prennent un risque sur le plan de l’efficacité discursive qui me semble disproportionné et peinent à comprendre, avec de tels propos, que les fautes ne sont pas « juste des fautes », pas graves, mais aussi des indices qui sont reliés à une forme de représentation que l’on se fait du sérieux dans le travail, voire, et c’est malheureux, de l’intelligence de l’auteur.

 Le poids des fautes

La faute est-elle vraiment toujours un indice de négligence ? Je suis vraiment surpris, depuis que je m’intéresse de loin à la chose, par un discours peu nuancé sur les fautes : toutes semblent avoir le même poids – jusqu’à l’oubli des points sur les i comme on l’a vu. Je suis intimement persuadé, sur le plan rhétorique de la réception d’un texte mal orthographié, qu’il existe une échelle de gravité des fautes. A part quelques puristes, il serait assez étonnant qu’on sanctionne « je vais pallier à ton absence » – au lieu de « je vais pallier ton absence » – tant il n’est pas évident que l’évaluateur lui-même sache la construction grammaticale de ce verbe dont l’usage fautif est plus fréquent que l’usage correct. Il serait encore plus étonnant que l’on remarque la mauvaise orthographe de syzigies (cela s’écrit « syzygies ») tant le terme est rare.

En revanche, « Mon fils à trouver une bague dans le jardin » fera probablement hurler plus d’une personne. Il existe à mon avis des fautes bien plus stigmatisantes que d’autres – les homophones « a » et « à » en font partie ainsi que les verbes en finale –é, -er, -ez. Quoique fautes au même titre que les autres, elles sont facilement perçues comme graves et ont un potentiel de déflagration plus fort, sans doute parce que l’on apprend depuis la petite scolarité les distinctions entre le verbe « avoir » et la préposition « à » ou le truc mnémotechnique « vendre ou vendu ». Commettre encore de telles fautes après des dizaines d’années de scolarité sera facilement perçu comme une négligence crasse, un irrespect fondamental tant pour la langue que pour le destinataire d’un tel message. Et donc, non, on ne peut pas s’en foutre, Monsieur, du moment que l’on me comprend. Car de telles erreurs se voient comme un nez au milieu de la figure : on ne voit plus qu’elles, ce qui diminue dans le même mouvement notre attention sur le reste, sur « ce qui importe vraiment ».

Et alors, comment?

Tant que l’orthographe est une norme sociale aussi rigide et donne lieu à des éclats émotionnels aussi forts, elle reste importante à pouvoir maîtriser en certains contextes. Comment faire dès lors face à la baisse du niveau ? Faut-il une solution politique ?

Ma position est la suivante : l’orthographe exige moins une forme de perfection inatteignable en tout temps et en tout lieu qu’une forme de vigilance critique à rendre saillante en certains contextes. Olivier Houdé, dans son « Que sais-je ? » sur le raisonnement, évoque évidemment les sciences cognitives qui déterminent deux systèmes de rationalité : le système lent, procédurier, attentif au détail et le système rapide, nettement moins fiable, mais moins chronophage. Il y ajoute cependant un troisième système, qui exerce une forme de vigilance par rapport aux erreurs que l’on peut commettre avec le système rapide. Houdé prend un exemple de formulation de problème de mathématiques (voir aussi ici), mais on peut, je pense, le transposer à la question de l’orthographe. Si on ne se souvient pas précisément des règles ou si on n’y prête pas une attention particulière, parce que l’on est par exemple concentré sur le contenu du message, on se contente souvent d’impressions – parfois on écrit deux versions d’un même mot pour voir la graphie qui nous semble la plus jolie. C’est donc le système rapide et intuitif qui agit ici. Le minimum souhaitable pourrait être que des alarmes se déclenchent dans le système vigilant. A chaque fois que l’on écrit « après que », plutôt que de savoir la règle ou de se la répéter comme un mantra que l’on oubliera peut-être – « après que » demande l’indicatif (« après qu’il est parti »; si, je vous l’assure) – il faudrait créer des exercices non pour mémoriser la règle, mais pour qu’une sonnette d’alarme mentale se déclenche, nous invitant à prêter attention à cette chose que l’on sait piégeuse ou contre-intuitive et nous incitant à bloquer le système rapide pour contrôler nos intuitions. Plutôt qu’apprendre des solutions, il me paraît plus pédagogique d’apprendre à repérer des problèmes potentiels.

Toujours dans mon monde idéal, je rêverais que l’on remplace la peur des fautes et la honte de les avoir commises – héritage historique de la dictée comme exercice suprême – par le plaisir de la découverte et l’éveil de la curiosité. Attention, autant je me permets de tancer les négligents en certains contextes importants (je rassure mes amis: pas dans les SMS que je reçois) et de leur montrer à quel point leur négligence peut être affiliée à un manque de respect, autant j’invite les personnes en peine avec l’orthographe à se l’approprier comme un terrain de jeu et non comme ce terrain de guerre où l’on peut perdre sa face et son honneur.

Je ne suis pas pédagogue et ne proposerai donc pas de solutions pour l’enseignement de l’orthographe, mais on peut penser à quelques astuces:  mettre un dictionnaire de pièges orthographiques dans les lieux d’aisance et le zieuter à chaque fois que la nature nous contraint à y poser notre séant; s’abonner à une page Facebook qui envoie chaque jour une phrase contenant une faute d’orthographe à localiser;  s’amuser à chercher un mot difficile à orthographier en feuilletant un dictionnaire étymologique (celui que vous aurez placé à côté du dictionnaire des pièges) pour découvrir par exemple que, comme « policlinique » vient du grec polis (la ville) et non de polus (nombreux), on n’écrit pas « polyclinique »… J’ai le sentiment que le goût de la langue ne vient pas du goût des règles mais du goût de l’histoire que ces règles cristallisent. Je pense aussi que s’interroger par petites doses devant une spécificité orthographique, la raconter à d’autres, l’inscrire ainsi dans une mémoire anecdotique et historique permet de mieux ancrer sinon la règle ou le piège, du moins le fait qu’il faut se méfier lorsqu’on accorde, par exemple, « tel » ou « tel que »…

Coda

Au moment où je mets en ligne cette réflexion, l’angoisse me taraude: contient-il une faute ?

10 Jan

Où est le complot, Charlie?

La couleur des rétros fait l'objet de spéculations

La couleur des rétros fait l’objet de spéculations

Il n’a pas fallu attendre longtemps. Quelques heures après la tuerie chez Charlie, les explications alternatives, comprendre les théories du complot, ont pointé leur nez.

Il s’agit d’un ressort classique. Un événement qui nous prend par surprise, de portée internationale, liée à une causalité humaine, provoque une série de réactions: le besoin de savoir, de comprendre, de retrouver de l’ordre dans le chaos. Mais les explications officielles sont parfois lacunaires, font état de coïncidences, de hasards, d’imprévoyance. La théorie du complot redonne un sens à tout cela, explique que tout est relié, qu’il n’y a plus de hasard, mais une orchestration, que la vérité que l’on nous propose n’est pas une vérité absolue, mais une vérité sous fausse bannière. C’est quasi mathématique : événement violent, surprenant et d’origine humaine + attitude suspicieuse à l’égard des élites (mêlée parfois de frustration de ne pas en faire partie) = théorie du complot.

Ce n’est pas forcément de la paranoïa – il existe des complots avérés – et on aurait tort de croire que les adeptes du complot sont fous. Le besoin de comprendre, de savoir est universel. Et les partisans du complot savent argumenter, faire douter, ébranler les certitudes. Ils ne sont pas irrationnels, mais raisonnent avec une part d’aveuglement. Et font souvent fi de la douleur que leur théorie alternative impose aux familles des victimes. Dire urbi et orbi, quelques heures après l’assassinat, que le policier tué à bout portant est une mascarade, n’est pas sans provoquer une certaine nausée.

Mais il serait trop facile de répondre par le mépris aux théories du complot. Observons sur pièces, car ce qui s’est passé à Charlie Hebdo souligne encore l’importance de la pensée critique dans le système éducatif pour combattre le fanatisme et respecter la parole de l’autre, fût-elle déplaisante. Les théoriciens du complot ont l’avantage de questionner toutes les idées reçues et d’exercer un esprit critique en argumentant sur des faits. Leur répondre par le rejet ou le mépris n’est pas se mettre à la hauteur du défi.

Ce billet est tout-à-fait représentatif:  http://www.wikistrike.com/2015/01/charlie-hebdo-plusieurs-details-troublants-annoncent-un-false-flag.html

Je ne vais pas l’analyser dans le détail, faute de temps, mais souligner quelques stratégies argumentatives typiques. La première – majeure – est que les personnes promptes à croire au complot utilisent comme point de départ leur théorie alternative qu’ils vont chercher à confirmer par l’analyse des indices. Ce biais de confirmation, c’est prendre Sherlock Holmes à rebrousse-poil. Lui part des indices et établit, à partir d’eux, des hypothèses avant de garder l’hypothèse la plus probable. « Bâtir une théorie avant d’avoir des données est une erreur monumentale: insensiblement, on se met à torturer les faits pour qu’ils collent avec la théorie, alors que ce sont les théories qui doivent coller aux faits » (Conan Doyle, Scandale en Bavière). Si on part d’une théorie du complot, chaque détail est réinterprété à cette aune. Les rétroviseurs qui sont gris lors d’un extrait de film et noirs plus tard impliquent l’hypothèse de deux véhicules différents et sont ainsi une preuve du complot. Alors, d’une part, que l’on se demande bien pourquoi il y aurait eu deux véhicules différents – une manière de faire compliqué quand on peut faire simple – l’explication plus probable d’un jeu de lumière n’est, d’autre part, même pas convoquée.

Dans une série de verbes après un sous-titre, l’auteur du post affirme : « nous constatons », « nous savons », « nous attendons ». S’appuyant sur des précédents historiques, plus ou moins discutables, l’auteur révèle en creux trois aspects cruciaux de la posture de l’adepte du complot : l’usage d’un nous collectif qui montre que ce n’est pas une vision solitaire et déraisonnable, l’assurance du constat et du savoir – qui évacue la notion de doute pourtant inhérente à toute démarche de ce type – et la certitude, par le biais de l’attente, que les événements vont donner raison à la théorie – l’inversion dénoncée par Conan Doyle dans la bouche de Holmes.

Autre élément typique, le post procède par une série de questions en rafale mentionnant des détails troublants. La répétition de l’interrogation révèle d’une part qu’une seule réponse pourra faire sens et, d’autre part, que l’évidence du complot crève les yeux. L’appel aux faits constant, l’attention aux détails que l’on interjette dans la conversation est courant dans ce type d’approche. Réfuter un détail en amène un autre « mais comment expliquez-vous alors … ». Le complot offre une explication unique, la réalité offre des pistes d’explication lacunaires, parcellaires, incertaines – dont on ne maîtrise pas forcément tous les tenants et aboutissants (je suis incapable d’estimer les projections de sang que doit faire une arme automatique tirée à bout portant).

Tous ces détails sont lus en fonction d’une interprétation : à qui profite le crime ? A travers la « médiacratie », « le pantin » Président, on perçoit les cibles devenues classiques des théories du complot. Rappelons peut-être que ce n’est pas parce que l’on a intérêt à ce que quelque chose se produise que l’on est forcément à l’origine de cette chose. En outre, cela impliquerait que les médias du monde entier (CBS, 20 Minutes, i24, JSS, iTélé sont cités) auraient tous été prêts à couvrir l’événement, tous complices de celui-ci. On se heurte à la limite de la vraisemblance lorsqu’on imagine le nombre de personnes qui devaient être au courant, et qu’aucune n’ait ni protesté ni organisé une fuite pour dénoncer l’attentat en préparation. Dans cette perspective, les médias sont par définition coupables et acoquinés avec les gouvernements; donc toutes leurs actions sont réinterprétées selon ce postulat.

Trop gros pour être vrai ? Ou trop vrai pour faire faux ?

Trop gros pour être vrai ? Ou trop vrai pour faire faux ?

L’autre point d’accroche fort de ce type d’interprétation est l’idée du « trop gros pour être vrai ». Que la carte d’identité soit oubliée dans la voiture par le stress ou laissée exprès pour revendiquer l’attentat paraît, aux yeux des adeptes du complot, impensable ou incohérent avec le reste (car tout doit faire sens au nom d’une causalité unique : la traque de l’incohérence est courant dans cette approche). Le raisonnement pourrait pourtant être pris à l’inverse : si le gouvernement avait monté le coup, aurait-il vraiment laissé un indice aussi incroyable ? D’une certaine manière, les théories du complots souffrent d’une forme d’excès de réalité.

Dernier point typique : le recours à des analogies. Pearl Harbour, le 11 Septembre, la guerre contre l’Irak et même les cow-boys et les Indiens sont mentionnés pour servir d’appui à la démonstration. Il y a eu ceci par la passé, donc ce qui se passe maintenant doit être compris de la même manière. Or, une analogie n’est jamais parfaite et ne peut être considérée comme une preuve matérielle suffisante.

Ces quelques procédés, auxquels ne manque que le recours à l' »expert », montrent, je l’espère, les limites des théories du complot à tout crin.

Hommage à Charlie et respect aux victimes.

 

 

03 Jan

Je te taxe au sac et tu te tais aussi sec

Depuis le 1er janvier 2013, pratiquement toutes les communes du Canton de Vaud ont adopté le principe de la taxe au sac. Finis les sacs poubelles noirs, place à des sacs blancs et verts surtaxés. La commune dans laquelle je réside ayant adopté le principe depuis fort longtemps, j’ai entendu un débat dans la société avec une certaine forme de décalage. Certains estiment que c’est une bonne incitation au tri – et, de fait, ma commune a vu une différence, dans les premiers temps du moins. D’autres que c’est une taxe antisociale, grevant les familles, surtout celles qui ont des enfants en bas âge. Bref, un sujet à polémiques. Et on le sent bien dans cette communication communale qui m’a plutôt surpris:

Ma stupeur vient évidemment du ton employé. En l’espace de quelques phrases, l’énoncé « celui qui produit des déchets paie » est répété deux fois, en introduction et en conclusion. L’énoncé est la première fois étiqueté comme la définition du principe du pollueur-payeur qui a valeur de contrainte absolue (cf. « doit être financé »), le verbe « devoir » du premier paragraphe nourrissant le « devoir » du troisième paragraphe (« doivent être mises dans des sacs poubelles taxés »). La deuxième fois, il est présenté comme une prémisse argumentative justifiant à l’évidence la question de l’incitation au tri (avec un certain saut dans le raisonnement: plus tu produis des déchets, plus tu paies, or, sachant que tu n’aimes pas gaspiller ton argent, en triant, tu produiras moins de déchets et tu paieras donc moins; donc trie). La loi, c’est la loi : la commune assène une série de devoirs  issus de droits juridiques.

Ce qui me fascine dans cette communication, c’est qu’elle est moins une information qu’une réponse. Tout se passe comme si la polémique et les plaintes de certains par rapport à une envolée des prix du rouleau de sacs poubelles étaient déjà intégrées dans ce texte d’information. Commencer par « Le droit fédéral et cantonal est clair en la matière » consiste d’une certaine manière à faire remonter à la surface textuelle ce que Stephen Toulmin appellerait un Fondement de l’argumentation (backing), autrement dit un élément structurant les argumentations en arrière-plan et perçu comme évident – l’adjectif « clair » est le témoin de cette évidence. Ce procédé paraît étonnant eu égard à sa relative inutilité dans le texte – il s’agit d’informer du passage à la taxe au sac et non d’argumenter sur sa raison d’être après tout – et à sa position liminaire : d’entrée de jeu, on rappelle un droit auquel le citoyen est soumis sans même exposer de quoi il s’agit puisque « la matière » exposée dans le premier énoncé ne reçoit un véritable contenu référentiel que dans la phrase suivante.

La commune en remontant directement au fondement juridique coupe court à tout débat politique ou social, en assénant le socle inébranlable de la décision. Cette forte affirmation en première phrase n’affiche aucune volonté de discussion alors même que la discussion est vive: le recours au droit pour régler un litige transpire dès la première phrase. Cette volonté de briser toute velléité de réclamation est doublement vexante : à la fois pour les citoyens en colère contre la taxe au sac, auxquels la commune fait visiblement la sourde oreille, et pour ceux qui n’ont rien contre la taxe mais qui sont mis dans le même … sac que les premiers. Eux qui défendaient peut-être le principe reçoivent un message autoritaire dans lequel ils ne se reconnaîtront pas.

Même vexation dans le message final en gras : outre que l’on répète le principe, si jamais vous étiez un poil bouché, les personnes qui trient ne se voient guère récompensés pour les efforts passés. Pour elles, en effet, rien ne change, sinon qu’elles paieront plus pour leurs déchets; quant aux gens qui ne triaient pas jusqu’ici, on leur dit que cela va demander des efforts. Eux aussi n’ont guère droit aux remerciements.

En bref, on observe une information qui prend une tonalité autoritaire sur un fond polémique latent et qui dessine l’image d’une commune presque agacée par ses citoyens, comme si elle avait été échaudée par une contestation publique sur la mise en place de cette taxe (je ne sais pas si c’est le cas). Face à cela, sa réponse est « Paie et tais-toi, d’autant que les efforts que tu fais, tant physiques que financiers, sont après tout bien normaux: le droit fédéral l’exige ». J’imagine que les citoyens de cette commune apprécient…

PS. Je laisse de côté dans cette courte analyse la répétition des instances de décision et la collectivité représentée par « notre commune », « notre conseil communal », et « dans notre Commune » (majuscule potentiellement significative). L’adoption du principe de la taxe au sac est collectivisée à l’ensemble des citoyens. Mais je serais curieux de savoir si les décisions moins délicates ou polémiques sont prises par « le conseil communal » ou « notre conseil communal »…